Municipales 2020 à Strasbourg : qui est Jeanne Barseghian, la nouvelle maire écologiste

Jeanne Barseghian (EELV) a remporté le second tour des élections municipales à Strasbourg (Bas-Rhin), le dimanche 28 juin, dans une triangulaire peu avantageuse. France 3 Alsace vous présente celle qui doit diriger la commune pendant six ans.

Selon une estimation Ipsos-Sopra Steria, à 21 heures, Jeanne Barseghian (EELV) emporte le second tour avec 42.5% des voix. Alain Fontanel (LREM-LR) arrive en seconde position 34.3% des voix et Catherine Trautmann (PS) est dernière avec 23.2%.

Les urnes ont parlé, la vague verte a déferlé, et c'est une nouvelle ère qui va débuter : l'écologiste Jeanne Barseghian va diriger Strasbourg (Bas-Rhin) pendant six ans. La juriste spécialisée en droit de l'environnement de 39 ans succède à Roland Ries, qui ne s'est pas représenté après un double-mandat. Détail amusant, de l'autre côté de l'échiquier politique, c'est aussi à l'âge de 39 ans qu'Emmanuel Macron a conquis l'Élysée.

Jeanne Barseghian a réussi à convaincre les électeurs du centre-ville mais aussi ceux des quartiers plus périphérique. La progression de l'entre deux tours est nette. La prochaine maire écologiste - comme vous le voyez dans le graphique ci-dessous - a progressé de 14 points depuis le premier tour, qui a eu lieu le 15 mars.
 


Jeanne Barseghian, cernée par les caméras et les journalistes, garde le sourire affirmé de celle qui avait la conviction de sa victoire depuis des mois. Elle a réussi son pari.
 


Le 15 mars, elle était arrivée en première position. Beaucoup s'attendaient à une union avec les forces de Catherine Trautmann (PS) qui n'a finalement pas eu lieu. Et ce, pendant qu'Alain Fontanel (LREM) franchissait le Rubicon en s'alliant à la dernière minute avec Jean-Philippe Vetter (LR). Un véritable coup de poker. Remporter ce second tour devenait donc bien plus compliqué avec cette addition des voix LREM et LR.
 


Mais Jeanne Barseghian a su profiter de la désaffection d'une partie des soutiens de Fontanel et Vetter, après cette alliance de la carpe et du lapin, pour tirer son épingle du jeu et remporter les clés de la mairie. Une mairie occupant des bâtiments très années 90, et (pour l'instant) pas très végétalisés, comme vous pouvez le voir dans la vue panoramique ci-dessous.
 

Je me préparais à cela depuis des mois mais c’est une nouvelle aventure qui commence

Jeanne Barseghian


La discrète devenue maire

Jeanne Barseghian, on en conviendra, est bien moins connue qu'une Catherine Trautmann ancienne eurodéputée, maire et ministre. Ou qu'un Alain Fontanel bombardé "dauphin" du maire sortant Roland Ries, en poste sur tous les dossiers-clés de la Ville et époux de la conseillère-santé d'Emmanuel Macron. Au Centre universitaire d'enseignement du journalisme (Cuej), Jérôme Flury relevait que sa "discrétion" impactait ses recherches Google, portant sur qui elle était (biographie, curriculum vitae) plutôt que sur ce qu'elle proposait (sa liste, son programme).

Je ne vois pas son manque de notoriété comme quelque chose de rédhibitoire.

Chantal Cutajar, tête de liste Citoyens engagés


Mais pourquoi la discrétion ne serait pas une qualité ? Chantal Cutajar, ex-opposante de Jeanne Barseghian arrivée septième du premier tour, ne disait pas le contraire : "Elle est souvent décriée pour son manque de notoriété. Je n’y vois pas quelque chose de rédhibitoire, d’autant qu’elle paraît apprendre vite." Et le renouvellement du personnel politique enclenché en 2017 se poursuit. Interviewée par le prestigieux Financial Times (c'est en anglais), la candidate voyait déjà le parti écologiste comme étant devenu la plus importante force à gauche de l'échiquier politique. 
 

Une détermination chevillée au corps

Aux dernières élections européennes en mai 2019, une percée de la liste d'Europe Écologie Les Verts a lieu avec un score de 13.5 %. Un résultat électoral qui sonne pour Jeanne Barseghian la fin d'un cycle politique, et le début d'un autre. Elle s'explique : "Moi qui étais engagée depuis 20 ans sur ces questions écologiques, j'ai senti que le basculement vers un monde d'après était possible : un monde qui prendrait en compte l'urgence climatique, la participation démocratique et la justice sociale.". Sept mois plus tard, feu vert : à la tête d'une liste de rassemblement, elle se lance officiellement dans la course aux municipales.

Sa campagne, elle s'y est préparée comme un sportif se prépare à une course de fond : "J'ai essayé de bien dormir, de manger sainement et de me ménager des temps de pause pour pouvoir me recentrer." Elle a pu compter sur le soutien indéfectible de son compagnon et également celui de ses parents, venus de Normandie très régulièrement pour la soutenir. 
 

Sa détermination à conquérir la mairie, Jeanne Barseghian l'avait montrée au cours du débat du premier tour l'opposant à cinq autres têtes de liste : "Cette élection est une chance unique d'ouvrir une nouvelle ère pour notre ville. Je me présente pour devenir maire de notre belle ville parce que je suis prête à relever ces défis."

Et lors d'un second débat, elle rappelle la vision long-termiste intrasèque de l'écologie, même si elle peut paraître impopulaire ou difficile à mettre en place : "C'est fou, ce que j'entends à gauche et à droite. C'est le consensus autour de l'immobilisme. C'est le fait de dire : 'parce que c'est compliqué, surtout, retardons, retardons, retardons les décisions.' C'est justement ce qui nous conduit, aujourd'hui, à être l'une des métropoles les plus polluées de France. Avec 500 personnes par an qui décèdent des causes de la pollution de l'air. Avançons. Les solutions existent. Il ne s'agit pas de sanctionner."
 


Jeanne Barseghian a su fédérer autour d'elle, du Parti communiste français (PCF) à Génération.s, et recueillir de nombreux soutiens, par exemple de l'ancien ministre Benoît Hamon (discours intégral dans le tweet ci-dessous) : "On va chercher le rassemblement le plus large, parier sur l'intelligence collective : c'est la proposition que fait Jeanne Barseghian, arrivée en tête de la gauche et des écologistes au premier tour. Elle est celle autour de qui peut s'organiser le rassemblement afin de gouverner pour l'intérêt général. Je lui fais confiance."
 

 

Transformée par une campagne

D'entrée de jeu, elle précise : "Je m'attendais au rythme, à l'intensité et à l'exposition médiatique." Mais il y a des questions récurrentes qui l'ont légèrement agacée. Un exemple : "Le costume n'est-il pas trop grand?". Une mise en doute à laquelle elle répond en souriant, mais fermement : "En quoi le fait que je sois une jeune femme écologiste et peu connue puisse interférer dans ma capacité à gouverner ?" Sans cesse interrogée sur son déficit de popularité, elle s'amuse à penser que tous ceux qui ont écrit sur elle lui ont finalement permis d'asseoir sa crédibilité.

Pour beaucoup, une personnalité politique crédible est forcément un homme en costume de plus de 50 ans. Elle veut prouver l'inverse : "Je veux déconstruire ces vieux schémas et ranger au placard ces complexes d'illégitimité qui n'ont pas lieu d'être." Oui, on peut devenir maire de Strasbourg, même si on est une jeune femme écologiste qui ne porte pas un nom alsacien.
 

En quoi le fait que je sois une jeune femme écologiste et peu connue puisse interférer dans ma capacité à gouverner ?

Jeanne Barseghian, tête de liste Strasbourg écologiste et citoyenne


Au lendemain du premier tour, elle tombe malade, rattrapée comme beaucoup d'Alsaciennes et d'Alsaciens par le coronavirus. Le virus la met complètement à plat pendant cinq semaines. Une rechute lui fait même craindre d'avoir des difficultés à retrouver son énergie. Finalement, tout repart et à l'annonce de la date du second tour, elle est prête pour la dernière ligne droite.
 


Son passage le plus difficile de la campagne ? Sans conteste, le 2 juin 2020, date à laquelle Alain Fontanel et Jean-Philippe Vetter annoncent leur fusion à la surprise générale. Ou presque : "Ce coup de théâtre est tout ce contre quoi je me bats. Être capable de tout pour garder son poste au mépris de ses propres colistiers et de ses électeurs, je trouve que cela donne une très mauvaise image de la politique."
 

De Suresnes à Strasbourg en passant par l'Allemagne

Jeanne Barseghian est née le 6 décembre 1980 à Suresnes (Hauts-de-Seine), dans la région parisienne, d’un père avocat d’origine arménienne et d’une mère juriste d’origine bretonne. La petite Parisienne, future Alsacienne d'adoption, est biberonnée aux histoires de Tomi Ungerer : Le Géant de Zéralda ou Les Trois Brigands. Le fruit ne tombant jamais très loin de l’arbre, à 18 ans, Jeanne Barseghian embrasse des études franco-allemandes en droit à Paris, à Münster et à Berlin.

C’est à cette époque que sa conscience écologique émerge. Elle puise les racines de son engagement dans ses lectures : le livre-manifeste Combien de catastrophes avant d’agir ? de Nicolas Hulot ou encore Paysan du monde de José Bové.

En 2002, elle arrive en Alsace pour se spécialiser dans le droit de l’environnement à l’université de Strasbourg et intègre une formation à l’institut d’Eco-Conseil. En parallèle, elle s’engage comme bénévole au Groupement d’études et de protection des mammifères d’Alsace( GEPMA), et à l'Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).
 

C'est une fille de dossiers. Si elle vous dit qu'il y a 4.512 pingouins sur la banquise, c'est qu'elle les a comptés...

Éric Charton, ancien directeur de projet de Jeanne Barseghian


En 2005, elle est chargée du projet Rhin Vivant/Lebendiger Rhein à la région Alsace. Éric Charton, son directeur de l'époque, se souvient de leur première rencontre : "Jeanne était ma voisine à table. Végétarienne, elle me donnait tout ce qu'elle ne mangeait pas. Forcément, ça créée des liens !". Plus sérieusement, il lui reconnaît une grande force de travail : "C'est la rigueur incarnée et la transparence. C'est une fille de dossiers. Si elle vous dit qu'il y a 4.512 pingouins sur la banquise, c'est qu'elle les a comptés..." Elle ne déroge pas : "Son instransigeance peut être aussi son talon d'Achille", estime-t-il.
 


Jeanne Barseghian réalise plusieurs projets de coopération avec l’Arménie, autour du tourisme durable. Il s'agit de l'un ses "dadas". C'est d'ailleurs l'objet de sa première interview télévisée, en 2008 (juste au-dessus), relevée par nos collègues de Rue89 Strasbourg. Elle fait ensuite ses premiers pas en politique en 2012. D’abord attachée du groupe des élus écologistes à la région Alsace, elle coordonne la rédaction du programme et se retrouve en quatrième position sur la liste écologiste pour les élections municipales de Strasbourg.
 

Moi je souhaite, dès le début du mandat, poser un acte fort avec une déclaration d’état d’urgence climatique comme je m’y étais engagée

Jeanne Barseghian



En 2014, Jeanne Barseghian est élue conseillère municipale, co-présidente du groupe écologiste à la Ville de Strasbourg. Elle travaille sur l’économie sociale et solidaire puis sur la réduction des déchets au sein des délégations de l’Eurométropole.
 


En 2018, la jeune femme fait partie de la vague de démission des élus écologistes au sein de l’Eurométropole, en réaction au démarrage des travaux du Grand contournement ouest de Strasbourg (GCO). Un an plus tard, elle est désignée tête de liste par l’Assemblée citoyenne : elle défend le programme de Strasbourg écologiste et citoyenne aux élections municipales de 2020, et l'emporte, contre toute attente.
 

Et maintenant ?

Avec la crise sanitaire et le confinement, cette écologiste chevronnée arrive à la mairie avec trois mois de retard sur son programme. Elle n'a donc pas l'intention de perdre plus de temps, alors que l'été marque le retour des vagues de chaleur, parfois difficiles à supporter dans une ville aussi minéralisée que Strasbourg. Ses priorités, confiées à nos collègues de 20 Minutes, vont être de déminéraliser et revégétaliser la ville, soutenir l'économie locale grevée par la crise du coronavirus, et accompagner les écolières et écoliers qui n'ont pas pu bénéficier d'un enseignement optimal pendant le confinement. Sa première mesure en tant que maire :"Je veux faire voter une déclaration d'urgence climatique à Strasbourg."

L'avenir s'annonce vert, couleur de l'espoir (et pour l'anecdote, de son téléphone portable) : cela tombe bien, c'est son mot préféré.
 

C’est une chance pour Strasbourg. Je souhaite que Strasbourg, en tant que capitale européenne, puisse montrer la voie de ces villes innovantes, exemplaires, dans le domaine de la transition écologique, sociale, mais aussi démocratique.

Jeanne Barseghian

 

L'interview du jour d'après

Le lundi 29 juin, Jeanne Barsheghian a répondu aux questions de France 3 Alsace. Les lendemains de victoire sont toujours ceux de la métamorphose et du tangible possible : "La nuit a été courte mais exaltante, et puis il y a déjà fort à faire dès ce lundi matin. L’organisation, avec mon équipe, des prochains jours, et notamment du conseil municipal d’installation [le samedi 4 juillet; ndlr]. Je me préparais à cela depuis des mois, mais c’est une nouvelle aventure qui commence, et donc un grand défi avec toute mon équipe, j’ai très envie de le relever et très envie de me mettre au travail."
 
"Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que l’écart soit aussi grand, les résultats du premier tour ont été confirmés hier soir et ils s’inscrivent dans un mouvement plus large, on le voit ailleurs en France. Ce qui va changer pour les Strasbourgeoises et les Srasbourgeois : pour que ça change en profondeur, il nous faut quand même quelques semaines et quelques mois. Moi je souhaite, dès le début du mandat, poser un acte fort avec une déclaration d’état d’urgence climatique comme je m’y étais engagée. Ensuite ce sera tout le travail de l’été, autour des urgences économique et sociale mais aussi autour de la végétalisation de la ville et la préparation de la rentrée scolaire."
 
"C’est une chance pour Strasbourg. Je souhaite que Strasbourg, en tant que capitale européenne puisse montrer la voie de ces villes innovantes, exemplaires, dans le domaine de la transition écologique, sociale, mais aussi démocratique. Et je pense que nous avons tout notre rôle à jouer dans cette construction d’un avenir meilleur."
Et maintenant, au travail...
 
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